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mon sillon.

tés. Les élégants petits crevés et les dames absurdes qui arpentent les grands boulevards ne sont pas beaucoup plus divertissants à regarder longtemps et, dans mes courses de hasard, je finis toujours par regagner un jardin ou un square. De là on entend le bruit des voitures, mais, du moins, elles ne roulent pas sur vos épaules. Aujourd’hui j’ai relu ta lettre à l’ombre du branchage noir des marronniers des Tuileries. Je ne sais quel pâle soleil se jouait dans la gerbe vaporeuse qui s’élevait du bassin pour le plus grand charme des yeux. Ta lettre lue, j’ai arpenté pendant une heure l’allée que j’appellerais volontiers l’allée des Désespérés, d’après les statues qui en sont les muettes mais éloquentes sentinelles. Je ne sais si c’est le hasard qui en a décidé ainsi, mais cette allée me semble vouée à tout ce que les statuaires ont reproduit de plus poignant en fait de douleur humaine. Ugolin et ses enfants dévorés par la faim, le Laocoon se tordant sous la hideuse étreinte des serpents, Spartacus, l’esclave farouche qui rêve la liberté, Prométhée enchaîné et rageant sur son rocher, Philopœmen, aux traits crispés, arrachant le javelot de sa plaie béante, Daphné, qui sent mon-