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dans le sein de Dieu, de qui l’amour est tout uni.

Comme elle achevait ces pensées, elle porta son regard vers le tableau de M. Le Brun. La Madeleine s’était effacée. À sa place elle revit l’image du Sauveur dans l’ormeau de Balleroy. Il écartait encore sa tunique pourpre et désignait son cœur en flammes. Sur le côté, ce n’étaient plus la chaumière ni la haie d’épine-vinette, mais l’hôtel de M. le Duc. Même elle s’y voyait entrer, et M. Poitou tenait sa malle sous le bras. Paris s’étendait dans une brume, avec sa houle de toitures.

— C’est un ordre, se dit Raton. Jésus me montre son cœur pour qu’il soit l’unique objet vers quoi doivent tendre mes pensées. La première fois, je voyais la chaumière de ma nourrice : c’était pour que je l’oubliasse. Aujourd’hui, la maison de M. le Duc représente la mollesse, les tentations de la Ville et aussi les chagrins qui me sont causés. Faut-il que je les quitte ou ne m’en soucie pas ? Ou bien sont-ce des moyens du Ciel pour m’acheminer plus sûrement vers mon salut ? Ah, Seigneur ! commandez à votre servante !… Et cet ormeau à l’ombre duquel j’ai passé mon enfance, qui m’abrita souvent de la chaleur du jour quand je réparais le linge fin signifie sans doute que l’amour du Divin Maître a crû sur l’innocence et la solitude de ma jeunesse, et qu’il me tiendra désormais sous sa protection.