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souffrait plus des cris de la rue ; de la rue elle-même, elle ne voyait rien, ni l’encombrement des charrettes et des carrosses, ni les chevaux agenouillés que l’on relevait par des coups et des injures, ni la nouveauté encore fraîche à ses yeux des boutiques et des maisons. Il lui semblait qu’elle avait quitté Balleroy sans relai pour se rendre chez Dieu, en compagnie d’une bonne fée qui la traitait en égale, car Raton mêlait sans scrupule les fées, les saintes et les duchesses. Là, elle n’entendrait point le patois de la ville. Elle entendrait la langue même de Dieu, à laquelle on ne comprend rien non plus, mais qui se récite, qui se chante, qui vous émeut, enfin, plus profondément que le langage des oiseaux, quand on est assise sur le banc de sa chaumière et que la journée s’achève sans travail dans le beau silence du crépuscule.

— Les saintes personnes que nous allons voir, dit enfin Mme la Duchesse qui trouvait long son propre silence, sont à peu près toutes de condition, de sorte que c’est un plaisir de prier chez elles et de penser à nos fins dernières. J’ai connu les unes dans mon enfance ; nous avons partagé les mêmes jeux. J’en ai connu d’autres dans le monde, dont elles se sont retirées à la suite de déceptions et de chagrins qui affectent profondément les cœurs sensibles, mais qui laissent encore une place à l’amour divin. On commence ou l’on finit par lui. Ainsi,