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avec une générosité outrancière. Raton songeait, en sanglant le mulet, aux larmes inavouées qu’elle avait répandues sur ces rubans. Elle taisait encore à sa maîtresse, qui s’inquiétait de son appétit, la trouvaille d’un rat crevé qu’elle avait faite au repas du soir, ainsi que son appréhension d’en retrouver d’autres selon la promesse de Macée. Mais Raton n’en ressentait guère de peine, et ces réflexions éphémères n’étaient que pour mémoire. L’idée d’accompagner sa maîtresse l’élevait au-dessus des contingences, et, momentanément, la tirait de souci.

Mme la Duchesse avait choisi du noir. Elle s’était encore privée de mouches et de bijoux, afin d’accorder sa personne à la gravité de l’office et paraître s’égaler à ces dames qui donnaient au siècle le plus bel exemple de renoncement à ses pompes. Pour la même raison, elle avait commandé sa chaise au lieu de son carrosse ; toutes ces particularités édifiantes, elle les faisait connaître à Raton d’une voix modeste, comme si elle eût déjà parlé au seuil de l’église. Cependant, on n’était encore qu’à la hauteur de la rue des Saints-Pères. Mme la Duchesse se recueillit quelques instants en feuilletant un paroissien relié aux armes, du volume d’un bréviaire. Raton se perdit à son tour dans ses rêveries, heureusement bercée par le mouvement de la chaise. Elle était à cent lieues de M. Poitou, de M. Grand-Jean et de Mlle Macée ; elle ne