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imposèrent à toutes les petites gens qui se retournèrent bouche bée. Il se fit un grand silence depuis le pavé jusqu’au cinquième. Le cocher retira sa pipe. Il allait répondre en regardant autour de lui, comme un berger qui compte ses ouailles, lorsque Mlle Raton se leva tout intimidée de sa malle peinte, mit son mouchoir dans sa gorge, sa gorge dans son fichu, et se dirigea vers son sauveur, la précieuse lettre à la main. Elle fit une révérence de campagne à quelques pas de l’important personnage. Celui-ci l’agréa sans y répondre autrement que par un hochement de tête protecteur. Affectant de tapoter le couvercle d’une queue-de-rat, il détailla la jeune fille des pieds à la tête. Satisfait de son examen, il lui dit assez haut pour que l’auditoire goûtât sa faconde :

— Je vous salue bien, Mademoiselle Raton, encore que l’envie de vous embrasser nous démange. Je me disais : quelle frimousse peut avoir un nom comme ça ?… Mais on n’est pas déçu, je vous le jure !… Nonobstant, quand on s’appelle Raton, on ne pleure pas, on fait risette, on dit : Je vous salue aussi, Monsieur Poitou ; je suis votre aimable servante… Enfin, cela viendra avec la connaissance du beau monde. Qu’est-ce là ?…

Et Poitou, devenu familier, s’empara de la lettre que lui tendait Raton en balbutiant avec docilité :

— Je vous salue bien, Monsieur Poitou…