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torpide analogue aux effets du pavot, pris à haute dose, avec étourdissements, et crampes nerveuses dans les extrémités.

Ainsi s’explique la mansuétude du public qui s’est laissé infliger la torture pendant trois longues heures, non pas sans murmurer, mais sans se mettre définitivement en colère et sans faire baisser le rideau pour couper court à cette enfilade de scènes maussades, absurdes et attristantes.

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Il est évident, pour ceux qui ont assisté à la représentation d’hier, que M. G. Flaubert ne connaît pas le théâtre et ne possède pas le don naturel qui, chez quelques prédestinés, supplée à l’expérience.

Mais son erreur est plus complète et plus générale. Il voit le monde non pas en noir, mais en laid ; élus, éligibles, électeurs, leurs épouses et leurs petits, sont d’ignobles et plats gueux, à peine dignes d’être menés à coups de triques par les chaouchs au Grand Turc. C’est à l’opinion de faire le cas qu’il convient de ces peintures désobligeantes et absolument fausses dans leur injuste généralité. Je reste dans le devoir de la critique en signalant à M. Flaubert l’impossibilité de faire réussir au théâtre une œuvre qui prétend se passer d’un ou de plusieurs personnages intéressants, vers lesquels puissent se porter les sympathies du spectateur.

Au point de vue de l’exécution, la comédie de M. Flaubert est lourde, banale et sans esprit. Ses caricatures sont dessinées et peintes avec de grosses couleurs plates, criardes et discordantes, comme les images d’un sou qui se vendent dans les foires.

Comment expliquer une pareille méprise de la part d’un écrivain laborieux et consciencieux, que des succès en d’autres genres ont rendu presque célèbre ? C’est un mystère psychologique que je ne me charge pas de percer ; je constate seulement, parce que c’est l’exercice d’une charge qui me semblait bien pénible hier au soir, que jamais on ne vit une pièce mieux faite pour éprouver la patience du public, ni une patience capable de résister avec une telle énergie au défi sans précédent qui lui était porté.

16 mars 1874. (Francisque Sarcey.)

Nous n’étions pas sans inquiétude sur la nouvelle œuvre de M. Flaubert.

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Nos fâcheuses prévisions ont été dépassées encore, nous n’eussions jamais imaginé qu’un homme, qui a fait preuve d’un talent hors ligne, ou peut-être même de génie dans le roman, témoignât une aussi prodigieuse impuissance à manier les passions