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THÉÂTRE.

Le Général.

Ni moi… et c’est une rude secousse, va ! (Il s’assoit et après un long silence.) Dimanche, mon Dieu, nous sommes rentrés ensemble, elle a mangé comme à son habitude ; seulement, au dessert, elle s’est mise à dire tout à coup : « Tiens ! c’est drôle ! je ne me sens pas bien ! » et trois heures après, elle a passé, sans douleur, tranquillement, comme une sainte.

Paul.

Ah ! mon pauvre oncle, que je vous plains !

Le Général.

Depuis bientôt quarante ans… que nous étions ensemble ! Pense donc ! une fille si dévouée, si attentionnée, si propre ! elle me lisait mon journal tous les matins ; le soir, elle me donnait son bras si je voulais sortir ; la nuit, dès qu’elle m’entendait tousser…

Paul.

Ah ! c’est une perte, je comprends.

Le Général.

Quand il faisait beau, nous allions nous promener aux environs ; elle s’asseyait sur l’herbe avec son panier et ses tapisseries, elle m’écoutait lui raconter des histoires… et comme elle aimait le jardinage, j’avais même le projet d’acheter quelque part, en Touraine… Ah ! je ne pourrai pas m’y accoutumer, je ne pourrai pas vivre seul !

Il pleure.
Paul.

Voyons ! mon oncle, du courage ! un vieux de la Bérésina, comme vous ! Est-ce qu’on n’est plus un homme, saprelotte !