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qu’il est à me lanterner avec toutes ses démarches ! — D’abord, ç’a été une place dans la diplomatie, puis une mission scientifique, puis un poste d’inspecteur de je ne sais quoi, puis un emploi dans une colonisation, je ne sais où ; et ce soir, enfin, il doit revenir de chez le banquier Kloekher les mains pleines, ou l’avenir assuré. — Je commence à n’y plus croire, à notre avenir ! J’ai bien envie de séparer le mien du sien et de lui donner mon compte, carrément. Monsieur est un brave jeune homme, c’est vrai ! Mais (Se touchant le front) toqué ! toqué ! — Saperlotte ! j’ai l’onglée !

Ses yeux rencontrent la boîte de pistolets sur la cheminée.

Tiens !… voilà une boîte qui me donne une tentation !… Ah ! doucement !… nos moyens ne nous permettent pas une flambée en acajou. Oh ! non !

En se reculant, il trébuche contre le paillasson.

Eh ! tu m’embêtes, toi ! — Attends un peu…

Il jette le paillasson dans le feu ; puis, le regardant brûler.

En être réduit là ! Mais ça ne peut pas durer plus longtemps ! c’est trop bête ! Et si notre sort ne change pas avant huit jours, bonsoir !

Le feu flambe. Il se chauffe.

Ꭺh ! ça fait du bien ! C’est une bonne idée que j’ai eue, décidément ! Comme on a tort de se gêner ! — Et pas un bon fauteuil pour se rôtir les tibias en tisonnant. C’est honteux, un aussi piètre escabeau ! — Et puisque mon maître est en courses toute la journée, je ne vois pas pourquoi…

Il jette dans le feu la petite chaise.

Allons donc !

Tout en remuant les charbons.

Il faut convenir que je suis un véritable nigaud, avec mon dévouement ! On n’a jamais vu un domestique comme moi ! Nom d’un chien ! quelle gelée ! Ça dispa-