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vous du voyage ! Allez-vous croire à toutes les paroles ? Les deux Suffètes sont d’accord ! Celui-là vous abuse ! Rappelez-vous l’Île-des-Ossements et Xantippe qu’ils ont renvoyé à Sparte sur une galère pourrie !

— Comment nous y prendre ? demandaient-ils.

— Réfléchissez ! disait Spendius.

Les deux jours suivants se passèrent à payer les gens de Magdala, de Leptis, d’Hécatompyle ; Spendius se répandait chez les Gaulois.

— On solde les Libyens, ensuite on payera les Grecs, puis les Baléares, les Asiatiques, et tous les autres ! Mais vous qui n’êtes pas nombreux, on ne vous donnera rien ! Vous ne reverrez plus vos patries ! Vous n’aurez point de vaisseaux ! Ils vous tueront pour épargner la nourriture.

Les Gaulois vinrent trouver le Suffète. Autharite, celui qu’il avait blessé chez Hamilcar, l’interpella. Il disparut, repoussé par les esclaves, mais en jurant qu’il se vengerait.

Les réclamations, les plaintes se multiplièrent. Les plus obstinés pénétraient dans la tente du Suffète ; pour l’attendrir ils prenaient ses mains, lui faisaient palper leurs bouches sans dents, leurs bras tout maigres et les cicatrices de leurs blessures. Ceux qui n’étaient point encore payés s’irritaient, ceux qui avaient reçu leur solde en demandaient une autre pour leurs chevaux ; et les vagabonds, les bannis, prenant les armes des soldats, affirmaient qu’on les oubliait. À chaque minute, il arrivait comme des tourbillons d’hommes ; les tentes craquaient, s’abattaient ; la multitude serrée entre les remparts du camp oscillait à grands cris depuis les portes jusqu’au centre.