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leurs services ; et Giscon se mit à la paye des soldats en commençant par les Libyens. Comme ils avaient déclaré les listes mensongères, il ne s’en servit point.

Ils défilaient devant lui, par nations, en ouvrant leurs doigts pour dire le nombre des années ; on les marquait successivement au bras gauche avec de la peinture verte ; les scribes puisaient dans le coffre béant, et d’autres, avec un stylet, faisaient des trous sur une lame de plomb.

Un homme passa, qui marchait lourdement, à la manière des bœufs.

— Monte près de moi, dit le Suffète, suspectant quelque fraude ; combien d’années as-tu servi ?

— Douze ans, répondit le Libyen.

Giscon lui glissa les doigts sous la mâchoire, car la mentonnière du casque y produisait à la longue deux callosités ; on les appelait des caroubes, et avoir les caroubes était une locution pour dire un vétéran.

— Voleur ! s’écria le Suffète, ce qui te manque au visage tu dois le porter sur les épaules !

Et lui déchirant sa tunique, il découvrit son dos couvert de gales saignantes ; c’était un laboureur d’Hippo-Zaryte. Des huées s’élevèrent ; on le décapita.

Dès qu’il fut nuit, Spendius alla réveiller les Libyens. Il leur dit :

— Quand les Ligures, les Grecs, les Baléares et les hommes d’Italie seront payés, ils s’en retourneront. Mais vous autres, vous resterez en Afrique, épars dans vos tribus et sans aucune défense ! C’est alors que la République se vengera ! Méfiez--