Page:Flaubert - Salammbô.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.

était libre. Elle y rencontrerait les Romains ; et, comme un homme assailli par des meurtriers, elle sentait la mort tout autour d’elle.

Il fallut bien recourir à Giscon ; les Barbares acceptèrent son entremise. Un matin, ils virent les chaînes du port s’abaisser, et trois bateaux plats, passant par le canal de la Tænia, entrèrent dans le lac.

Sur le premier, à la proue, on apercevait Giscon. Derrière lui, et plus haute qu’un catafalque, s’élevait une caisse énorme, garnie d’anneaux pareils à des couronnes qui pendaient. Apparaissait ensuite la légion des Interprètes, coiffés comme des sphinx, et portant un perroquet tatoué sur la poitrine. Des amis et des esclaves suivaient, tous sans armes, et si nombreux qu’ils se touchaient des épaules. Les trois longues barques, pleines à sombrer, s’avançaient aux acclamations de l’armée, qui les regardait.

Dès que Giscon débarqua, les soldats coururent à sa rencontre. Avec des sacs il fit dresser une sorte de tribune et déclara qu’il ne s’en irait pas avant de les avoir tous intégralement payés.

Des applaudissements éclatèrent ; il fut longtemps sans pouvoir parler.

Puis il blâma les torts de la République et ceux des Barbares ; la faute en était à quelques mutins, qui par leur violence avaient effrayé Carthage. La meilleure preuve de ses bonnes intentions, c’était qu’on l’envoyait vers eux, lui, l’éternel adversaire du suffète Hannon. Ils ne devaient point supposer au peuple l’ineptie de vouloir irriter des braves, ni assez d’ingratitude pour méconnaître