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tement nus, à la fois débiles et farouches, et depuis des siècles exécrés par le peuple, à cause de leurs nourritures immondes. Les sentinelles s’aperçurent un matin qu’ils étaient tous partis.

Enfin des membres du Grand Conseil se décidèrent. Ils vinrent au camp, sans colliers ni ceintures, en sandales découvertes, comme des voisins. Ils s’avançaient d’un pas tranquille, jetant des saluts aux capitaines, ou bien ils s’arrêtaient pour parler aux soldats, disant que tout était fini et qu’on allait faire justice à leurs réclamations.

Beaucoup d’entre eux voyaient pour la première fois un camp de Mercenaires. Au lieu de la confusion qu’ils avaient imaginée, c’était un ordre et un silence effrayants. Un rempart de gazon enfermait l’armée dans une haute muraille, inébranlable au choc des catapultes. Le sol des rues était aspergé d’eau fraîche ; par les trous des tentes, ils apercevaient des prunelles fauves qui luisaient dans l’ombre. Les faisceaux de piques et les panoplies suspendues les éblouissaient comme des miroirs. Ils se parlaient à voix basse. Ils avaient peur avec leurs longues robes de renverser quelque chose.

Les soldats demandèrent des vivres, en s’engageant à les payer sur l’argent qu’on leur devait.

On leur envoya des bœufs, des moutons, des pintades, des fruits secs et des lupins, avec des scombres fumés, de ces scombres excellents que Carthage expédiait dans tous les ports. Mais ils tournaient dédaigneusement autour des bestiaux magnifiques ; et, dénigrant ce qu’ils convoitaient, offraient pour un bélier la valeur d’un pigeon, pour trois chèvres le prix d’une grenade.