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de dauphin pour bannir les terreurs, et Salammbô dit d’une voix presque éteinte :

— Va me chercher Schahabarim.

Son père n’avait pas voulu qu’elle entrât dans le collège des prêtresses, ni même qu’on lui fît rien connaître de la Tanit populaire. Il la réservait pour quelque alliance pouvant servir sa politique, si bien que Salammbô vivait seule au milieu de ce palais ; sa mère depuis longtemps était morte.

Elle avait grandi dans les abstinences, les jeûnes et les purifications, toujours entourée de choses exquises et graves, le corps saturé de parfums, l’âme pleine de prières. Jamais elle n’avait goûté de vin, ni mangé de viandes, ni touché à une bête immonde, ni posé ses talons dans la maison d’un mort.

Elle ignorait les simulacres obscènes, car chaque dieu se manifestant par des formes différentes, des cultes souvent contradictoires témoignaient à la fois du même principe, et Salammbô adorait la Déesse en sa figuration sidérale. Une influence était descendue de la lune sur la vierge ; quand l’astre allait en diminuant, Salammbô s’affaiblissait. Languissante toute la journée, elle se ranimait le soir. Pendant une éclipse, elle avait manqué mourir.

Mais la Rabbet jalouse se vengeait de cette virginité soustraite à ses sacrifices, et elle tourmentait Salammbô d’obsessions d’autant plus fortes qu’elles étaient vagues, épandues dans cette croyance et avivées par elle.

Sans cesse la fille d’Hamilcar s’inquiétait de Tanit. Elle avait appris ses aventures, ses voyages