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NOTES

la nivelaient par paliers inégaux, et d’innombrables ruelles s’entre-croisant la coupaient de haut en bas. Les palais des patriciens, en forme de bûchers funéraires, obscurcissaient de leur ombre les habitations à leurs pieds, et sur les toits des temples et aux angles de leurs frontons se dressaient des statues couvertes d’or, colossales ou petites, avec des ventres énormes ou démesurément allongés, renversant la tête, ouvrant les bras et tenant dans leurs mains des grils, des chaînes et des épées. »

En juillet 1858, ayant établi un nouveau plan, inspiré par une vision toute fraîche, Flaubert reprend Salammbô ; l’écriture, au début, semble en être facile et rapide. « J’en suis arrivé dans mon premier chapitre à ma petite femme. J’astique son costume, ce qui m’amuse. Cela m’a remis un peu d’aplomb. Je me vautre comme un cochon sur les pierreries dont je l’entoure… » (Lettre à Jules Duplan, Correspondance, III, p. 180.) Mais les difficultés vont surgir, car cette fois Flaubert, connaissant son sujet à fond, sait les effets qu’il en veut tirer et jusqu’en 1862, la lutte avec la phrase, l’ampleur de la période, l’harmonie va être constante. « Quel chien de sujet ! écrit-il à Feydeau en septembre 1858, « je passe alternativement de l’emphase la plus extraordinaire à la platitude la plus académique… D’un autre côté, comme il faut faire violent, je tombe dans le mélodrame. C’est à se casser la gueule, nom d’un petit bonhomme ! La difficulté est de trouver la note juste. » (Voir Correspondance, III, p. 183.) Et au mois de décembre il lui dit : « Je me lève à midi et me couche entre 3 et 4 heures du matin. Je m’endors vers 5 heures ; à peine si je vois la lumière des cieux… Depuis dix-huit jours j’ai écrit dix pages, lu en entier la Retraite des Dix mille (et analysé), six traités de Plutarque (sic), la grande hymne à Cérès… Dans deux jours, j’entame le chapitre III. Je suis dans une venette atroce, parce que je vais répéter comme effet dans le chapitre III ce qui a été dit dans le chapitre II. Des malins emploieraient la ficelle pour escamoter la difficulté. Je vais lourdement m’épater tout au milieu, comme un bœuf. Tel est mon système, mais je vais suer, par exemple ! et me désespérer dans la confection dudit passage ! Sérieusement, je crois que jamais on n’a entrepris un sujet aussi difficile de style. À chaque ligne, à chaque mot, la langue me manque, l’insuffisance du vocabulaire est telle, que je suis forcé à changer les détails très souvent. J’y crèverai, mon vieux… » Arrivé au quatrième chapitre : Sous les murs de Carthage, Flaubert commence à considérer la valeur du travail exécuté : « Ça peut être bien beau, mais ça peut être aussi très bête », et le doute domine sur l’intérêt du sujet : « Celui-là ne sera pas un bon livre, qu’importe ! s’il fait rêver à de grandes choses ! Nous valons plus par nos aspirations que par nos œuvres. » Au cours de l’été 1859, il se sent épuisé par