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débordait sur la jaquette écarlate qui lui couvrait les cuisses ; les plis de son cou retombaient jusqu’à sa poitrine comme des fanons de bœuf ; sa tunique, où des fleurs étaient peintes, craquait aux aisselles ; il portait une écharpe, une ceinture et un large manteau noir à doubles manches lacées. L’abondance de ses vêtements, son grand collier de pierres bleues, ses agrafes d’or et ses lourds pendants d’oreilles ne rendaient que plus hideuse sa difformité. On aurait dit quelque grosse idole ébauchée dans un bloc de pierre ; car une lèpre pâle, étendue sur tout son corps, lui donnait l’apparence d’une chose inerte. Cependant son nez, crochu comme un bec de vautour, se dilatait violemment, afin d’aspirer l’air, et ses petits yeux, aux cils collés, brillaient d’un éclat dur et métallique. Il tenait à la main une spatule d’aloès, pour se gratter la peau.

Enfin deux hérauts sonnèrent dans leurs cornes d’argent ; le tumulte s’apaisa, et Hannon se mit à parler.

Il commença par faire l’éloge des dieux et de la République ; les Barbares devaient se féliciter de l’avoir servie. Mais il fallait se montrer plus raisonnables, les temps étaient durs, — « et si un maître n’a que trois olives, n’est-il pas juste qu’il en garde deux pour lui ? »

Ainsi le vieux Suffète entremêlait son discours de proverbes et d’apologues, tout en faisant des signes de tête pour solliciter quelque approbation.

Il parlait punique et ceux qui l’entouraient (les plus alertes accourus sans leurs armes) étaient des Campaniens, des Gaulois et des Grecs, si bien