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Mâtho voulut s’étourdir avec du vin. Après ses ivresses il était plus triste encore. Il essaya de se distraire aux osselets, et il perdit une à une les plaques d’or de son collier. Il se laissa conduire chez les servantes de la Déesse ; mais il descendit la colline en sanglotant, comme ceux qui s’en reviennent des funérailles.

Spendius, au contraire, devenait plus hardi et plus gai. On le voyait, dans les cabarets de feuillages, discourant au milieu des soldats. Il raccommodait les vieilles cuirasses. Il jonglait avec des poignards. Il allait, pour les malades, cueillir des herbes dans les champs. Il était facétieux, subtil, plein d’inventions et de paroles ; les Barbares s’accoutumaient à ses services ; il s’en faisait aimer.

Cependant ils attendaient un ambassadeur de Carthage qui leur apporterait, sur des mulets, des corbeilles chargées d’or ; et toujours recommençant le même calcul, ils dessinaient avec leurs doigts des chiffres sur le sable. Chacun, d’avance, arrangeait sa vie ; ils auraient des concubines, des esclaves, des terres ; d’autres voulaient enfouir leur trésor ou le risquer sur un vaisseau. Mais dans ce désœuvrement les caractères s’irritaient ; il y avait de continuelles disputes entre les cavaliers et les fantassins, les Barbares et les Grecs, et l’on était sans cesse étourdi par la voix aigre des femmes.

Tous les jours, il survenait des troupeaux d’hommes presque nus, avec des herbes sur la tête pour se garantir du soleil ; c’étaient les débiteurs des riches Carthaginois, contraints de labourer leurs terres, et qui s’étaient échappés. Des Libyens affluaient, des paysans ruinés par les im-