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blait plutôt un rugissement de colère. Quant à Spendius, un étrange courage lui était venu ; maintenant il méprisait la vie, par la certitude qu’il avait d’un affranchissement presque immédiat et éternel, et il attendait la mort avec impassibilité.

Au milieu de leur défaillance, quelquefois ils tressaillaient à un frôlement de plumes, qui leur passait contre la bouche. De grandes ailes balançaient des ombres autour d’eux, des croassements claquaient dans l’air ; et comme la croix de Spendius était la plus haute, ce fut sur la sienne que le premier vautour s’abattit. Alors il tourna son visage vers Autharite, et lui dit lentement, avec un indéfinissable sourire :

— Te rappelles-tu les lions sur la route de Sicca ?

— C’étaient nos frères ! répondit le Gaulois en expirant.

Le Suffète, pendant ce temps-là, avait troué l’enceinte, et il était parvenu à la citadelle. Sous une rafale de vent, la fumée tout à coup s’envola, découvrant l’horizon jusqu’aux murailles de Carthage ; il crut même distinguer des gens qui regardaient sur la plate-forme d’Eschmoûn ; puis, en ramenant ses yeux, il aperçut, à gauche, au bord du lac, trente croix démesurées.

Pour les rendre plus effroyables, les Barbares les avaient construites avec les mâts de leurs tentes attachés bout à bout ; et les trente cadavres des Anciens apparaissaient tout en haut, dans le ciel. Il y avait sur leurs poitrines comme des papillons blancs : c’étaient les barbes des flèches qu’on leur avait tirées d’en bas.