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faire son profit de tous les désordres, il savait gré à Narr’Havas des futures perfidies dont il le soupçonnait.

Le chef des Numides resta parmi les Mercenaires. Il paraissait vouloir s’attacher Mâtho. Il lui envoyait des chèvres grasses, de la poudre d’or et des plumes d’autruche. Le Libyen, ébahi de ces caresses, hésitait à y répondre ou à s’en exaspérer. Mais Spendius l’apaisait, et Mâtho se laissait gouverner par l’esclave, toujours irrésolu et dans une invincible torpeur, comme ceux qui ont pris autrefois quelque breuvage dont ils doivent mourir.

Un matin qu’ils partaient tous les trois pour la chasse au lion, Narr’Havas cacha un poignard dans son manteau. Spendius marcha continuellement derrière lui ; et ils revinrent sans qu’on eût tiré le poignard.

Une autre fois, Narr’Havas les entraîna fort loin, jusqu’aux limites de son royaume. Ils arrivèrent dans une gorge étroite ; Narr’Havas sourit en leur déclarant qu’il ne connaissait plus la route ; Spendius la retrouva.

Mais le plus souvent Mâtho, mélancolique comme un augure, s’en allait dès le soleil levant pour vagabonder dans la campagne. Il s’étendait sur le sable, et jusqu’au soir y restait immobile.

Il consulta l’un après l’autre tous les devins de l’armée, ceux qui observent la marche des serpents, ceux qui lisent dans les étoiles, ceux qui soufflent sur la cendre des morts. Il avala du galbanum, du seseli et du venin de vipère qui glace le cœur ; des femmes nègres, en chantant au clair de lune des paroles barbares, lui piquèrent la peau du front avec des stylets d’or ; il se chargeait