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On leur attacha les jambes et les mains ; puis quand ils furent étendus par terre les uns près des autres, on ramena les éléphants.

Les poitrines craquaient comme des coffres que l’on brise ; chacun de leurs pas en écrasait deux ; leurs gros pieds enfonçaient dans les corps avec un mouvement des hanches qui les faisait paraître boiter. Ils continuaient, et allèrent jusqu’au bout.

Le niveau de la plaine redevint immobile. La nuit tomba. Hamilcar se délectait devant le spectacle de sa vengeance ; soudain il tressaillit.

Il voyait, et tous voyaient, à six cents pas de là, sur la gauche, au sommet d’un mamelon, des Barbares encore ! En effet, quatre cents des plus solides, des Mercenaires, Étrusques, Libyens et Spartiates, dès le commencement, avaient gagné les hauteurs, et jusque-là s’y étaient tenus incertains. Après ce massacre de leurs compagnons, ils résolurent de traverser les Carthaginois ; déjà ils descendaient en colonnes serrées, d’une façon merveilleuse et formidable.

Un héraut leur fut immédiatement expédié. Le Suffète avait besoin de soldats ; il les recevait sans condition, tant il admirait leur bravoure. Ils pouvaient même, ajouta l’homme de Carthage, se rapprocher quelque peu, dans un endroit qu’il leur désigna, et où ils trouveraient des vivres.

Les Barbares y coururent et passèrent la nuit à manger. Alors, les Carthaginois éclatèrent en rumeurs contre la partialité du Suffète pour les Mercenaires.

Céda-t-il à ces expansions d’une haine irrassasiable, ou bien était-ce un raffinement de perfidie ?