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dardaient leurs grands yeux noirs sur l’armée qui montait.

Bien que Sicca fût une ville sacrée, elle ne pouvait contenir une telle multitude ; le temple avec ses dépendances en occupait, seul, la moitié. Aussi les Barbares s’établirent dans la plaine tout à leur aise, ceux qui étaient disciplinés par troupes régulières, et les autres, par nations ou d’après leur fantaisie.

Les Grecs alignèrent sur des rangs parallèles leurs tentes de peaux ; les Ibériens disposèrent en cercle leurs pavillons de toile ; les Gaulois se firent des baraques de planches ; les Libyens des cabanes de pierres sèches, et les Nègres creusèrent dans le sable avec leurs ongles des fosses pour dormir. Beaucoup, ne sachant où se mettre, erraient au milieu des bagages, et la nuit couchaient par terre dans leurs manteaux troués.

La plaine se développait autour d’eux, toute bordée de montagnes. Çà et là un palmier se penchait sur une colline de sable, des sapins et des chênes tachetaient les flancs des précipices. Quelquefois la pluie d’un orage, telle qu’une longue écharpe, pendait du ciel, tandis que la campagne restait partout couverte d’azur et de sérénité ; puis un vent tiède chassait des tourbillons de poussière ; et un ruisseau descendait en cascade des hauteurs de Sicca où se dressait, avec sa toiture d’or sur des colonnes d’airain, le temple de la Vénus carthaginoise, dominatrice de la contrée. Elle semblait l’emplir de son âme. Par ces convulsions des terrains, ces alternatives de la température et ces jeux de la lumière, elle manifestait