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ouvrant dans les treillages une des portes destinées à ceux qui entreraient pour offrir les victimes. C’était, croyaient les prêtres de Moloch, un outrage qu’il venait faire à leur Dieu ; avec de grands gestes, ils essayaient de le repousser. Nourris par les viandes des holocaustes, vêtus de pourpre comme des rois et portant des bonnets à triple étage, ils conspuaient ce pâle eunuque exténué de macérations, et des rires de colère secouaient sur leur poitrine leur barbe noire étalée en soleil.

Schahabarim, sans répondre, continuait à marcher ; et, traversant pas à pas toute l’enceinte, il arriva sous les jambes du colosse, puis il le toucha des deux côtés en écartant les bras, ce qui était une formule solennelle d’adoration. Depuis trop longtemps la Rabbet le torturait ; par désespoir, ou peut-être à défaut d’un dieu satisfaisant complètement sa pensée, il se déterminait enfin pour celui-là.

La foule, épouvantée par cette apostasie, poussa un long murmure. On sentait se rompre le dernier lien qui attachait les âmes à une divinité clémente.

Mais Schahabarim, à cause de sa mutilation, ne pouvait participer au culte du Baal. Les hommes en manteaux rouges l’exclurent de l’enceinte ; puis, quand il fut dehors, il tourna autour de tous les collèges, successivement, et le prêtre, désormais sans dieu, disparut dans la foule. Elle s’écartait à son approche.

Cependant un feu d’aloès, de cèdre et de laurier brûlait entre les jambes du colosse. Ses longues ailes enfonçaient leur pointe dans la flamme ; les onguents dont il était frotté coulaient