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l’un de l’autre se trouvait immense, qu’il pût y avoir entre eux rien de commun. Cela lui parut une sorte d’outrage et comme un empiétement sur ses privilèges. Il répondit par un regard plus froid et plus lourd que la hache d’un bourreau ; l’esclave, s’évanouissant, tomba dans la poussière, à ses pieds. Hamilcar enjamba par-dessus.

Les trois hommes en robes noires l’attendaient dans la grande salle, debout contre le disque de pierre. Tout de suite, il déchira ses vêtements et il se roulait sur les dalles en poussant des cris aigus :

— Ah ! pauvre petit Hannibal ! oh ! mon fils ! ma consolation ! mon espoir ! ma vie ! Tuez-moi aussi ! emportez-moi ! Malheur ! malheur !

Il se labourait la face avec ses ongles, s’arrachait les cheveux et hurlait comme les pleureuses des funérailles.

— Emmenez-le donc ! je souffre trop ! allez-vous-en ! tuez-moi comme lui.

Les serviteurs de Moloch s’étonnaient que le grand Hamilcar eût le cœur si faible. Ils en étaient presque attendris.

On entendit un bruit de pieds nus avec un râle saccadé, pareil à la respiration d’une bête féroce qui accourt ; et sur le seuil de la troisième galerie, entre les montants d’ivoire, un homme apparut, blême, terrible, les bras écartés ; il s’écria :

— Mon enfant !

Hamilcar, d’un bond, s’était jeté sur l’esclave ; et, en lui couvrant la bouche de ses mains, il criait encore plus haut :

— C’est le vieillard qui l’a élevé ! il l’appelle mon enfant ! il en deviendra fou ! assez ! assez !

Et, chassant par les épaules les trois prêtres et