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ses prunelles cherchaient des espaces. Les narines de son nez mince palpitaient largement ; sur toute sa personne s’étalait l’indéfinissable splendeur de ceux qui sont destinés aux grandes entreprises. Quand il eut rejeté son manteau trop lourd, il resta revêtu d’une peau de lynx attachée autour de sa taille, et il appuyait résolument sur les dalles ses petits pieds nus tout blancs de poussière. Sans doute, il devina que l’on agitait des choses importantes, car il se tenait immobile, une main derrière le dos et le menton baissé, avec un doigt dans la bouche.

Hamilcar, d’un signe, attira Salammbô et il lui dit à voix basse :

— Tu le garderas chez toi, entends-tu ! Il faut que personne, même de la maison, ne connaisse son existence !

Puis, derrière la porte, il demanda encore une fois à Iddibal s’il était bien sûr qu’on ne les eût pas remarqués.

— Non ! dit l’esclave ; les rues étaient vides.

La guerre emplissant toutes les provinces, il avait eu peur pour le fils de son maître. Ne sachant où le cacher, il était venu le long des côtes, sur une chaloupe : et, depuis trois jours, Iddibal louvoyait dans le golfe, en observant les remparts ; ce soir-là, comme les alentours de Khamon semblaient déserts, il avait franchi la passe lestement et débarqué près de l’arsenal, l’entrée du port étant libre.

Mais bientôt les Barbares établirent, en face, un immense radeau pour empêcher les Carthaginois d’en sortir. Ils relevaient les tours de bois, et, en même temps, la terrasse montait.