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saient dans leur casque, et d’autres buvaient à plat ventre, tout au milieu des bêtes de somme, dont les bagages tombaient.

Spendius, assis sur un dromadaire volé dans les parcs d’Hamilcar, aperçut de loin Mâtho, qui, le bras suspendu contre la poitrine, nu-tête et la figure basse, laissait boire son mulet, tout en regardant l’eau couler. Aussitôt il courut à travers la foule, en l’appelant :

— Maître ! maître !

À peine si Mâtho le remercia de ses bénédictions. Spendius, n’y prenant garde, se mit à marcher derrière lui, et, de temps à autre, il tournait des yeux inquiets du côté de Carthage.

C’était le fils d’un rhéteur grec et d’une prostituée campanienne. Il s’était d’abord enrichi à vendre des femmes ; puis, ruiné par un naufrage, il avait fait la guerre contre les Romains avec les bergers du Samnium. On l’avait pris, il s’était échappé ; on l’avait repris, et il avait travaillé dans les carrières, haleté dans les étuves, crié dans les supplices, passé par bien des maîtres, connu toutes les fureurs. Un jour, par désespoir, il s’était lancé à la mer du haut de la trirème où il poussait l’aviron. Des matelots l’avaient recueilli mourant et amené à Carthage dans l’ergastule de Mégara. Comme on devait rendre aux Romains leurs transfuges, il avait profité du désordre pour s’enfuir avec les soldats.

Pendant toute la route, il resta près de Mâtho ; il lui apportait à manger, il le soutenait pour descendre, il étendait un tapis, le soir, sous sa tête. Mâtho finit par s’émouvoir de ces prévenances, et peu à peu il desserra les lèvres.