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avaient apporté des cailloux dans des sacs. D’autres, les mains vides, faisaient claquer leurs dents.

Une houle continuelle agitait cette multitude. Des dromadaires, tout barbouillés de goudron comme des navires, renversaient les femmes qui portaient leurs enfants sur la hanche. Les provisions dans les couffes se répandaient ; on écrasait en marchant des morceaux de sel, des paquets de gomme, des dattes pourries, des noix de gourou ; et parfois, sur des seins couverts de vermine, pendait à un mince cordon quelque diamant qu’avaient cherché les Satrapes, une pierre presque fabuleuse et suffisante pour acheter un empire. Ils ne savaient même pas, la plupart, ce qu’ils désiraient. Une fascination, une curiosité les poussaient ; des Nomades, qui n’avaient jamais vu de ville, étaient effrayés par l’ombre des murailles.

L’isthme disparaissait maintenant sous les hommes ; cette longue surface, où les tentes faisaient comme des cabanes dans une inondation, s’étalait jusqu’aux premières lignes des autres Barbares, toutes ruisselantes de fer et symétriquement établies sur les deux flancs de l’aqueduc.

Les Carthaginois se trouvaient encore dans l’effroi de leur arrivée, quand ils aperçurent, venant droit vers eux, comme des monstres et comme des édifices, — avec leurs mâts, leurs bras, leurs cordages, leurs articulations, leurs chapiteaux et leurs carapaces, — les machines de siège qu’envoyaient les villes tyriennes : soixante carrobalistes, quatre-vingts onagres, trente scorpions, cinquante tollénones, douze béliers et trois gigantesques catapultes qui lançaient des morceaux de roche du poids de quinze talents. Des masses d’hommes