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voyant si forts, n’eussent la fantaisie de vouloir rester. Mais ils partaient avec tant de confiance que les Carthaginois s’enhardirent et se mêlèrent aux soldats. On les accablait de serments, d’étreintes. On leur jetait des parfums, des fleurs et des pièces d’argent. On leur donnait des amulettes contre les maladies ; mais on avait craché dessus trois fois pour attirer la mort, ou enfermé dedans des poils de chacal qui rendent le cœur lâche. On invoquait tout haut la faveur de Melkarth et tout bas sa malédiction.

Puis vint la cohue des bagages, des bêtes de somme et des traînards.

Des malades gémissaient sur des dromadaires ; d’autres s’appuyaient, en boitant, sur le tronçon d’une pique. Les ivrognes emportaient des outres, les voraces des quartiers de viande, des gâteaux, des fruits, du beurre dans des feuilles de figuier, de la neige dans des sacs de toile. On en voyait avec des parasols à la main, avec des perroquets sur l’épaule. Ils se faisaient suivre par des dogues, par des gazelles ou des panthères. Des femmes de race libyque, montées sur des ânes, invectivaient les négresses qui avaient abandonné pour les soldats les lupanars de Malqua ; plusieurs allaitaient des enfants suspendus à leur poitrine dans une lanière de cuir. Les mulets, que l’on aiguillonnait avec la pointe des glaives, pliaient l’échine sous le fardeau des tentes ; et il y avait une quantité de valets et de porteurs d’eau, hâves, jaunis par les fièvres et tout sales de vermine, écume de la plèbe carthaginoise, qui s’attachait aux Barbares.

Quand ils furent passés, on ferma les portes