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de déchirures blanches. Malgré tous ses voiles, Salammbô frissonnait sous la fraîcheur du matin ; le mouvement, le grand air l’étourdissaient. Puis le soleil se leva ; il la mordait sur le derrière de la tête ; involontairement elle s’assoupissait un peu. Les deux bêtes, côte à côte, trottaient l’amble en enfonçant leurs pieds dans le sable muet.

Quand ils eurent dépassé la montagne des Eaux-Chaudes, ils continuèrent d’un train plus rapide, le sol étant plus ferme.

Les champs, bien qu’on fût à l’époque des semailles et des labours, d’aussi loin qu’on les apercevait, étaient vides comme le désert. Il y avait, de place en place, des tas de blé répandus ; ailleurs des orges roussies s’égrenaient. Sur l’horizon clair, les villages apparaissaient en noir, avec des formes incohérentes et découpées.

De temps à autre, un pan de muraille à demi calciné se dressait au bord de la route. Les toits des cabanes s’effondraient, et, dans l’intérieur, on distinguait des éclats de poteries, des lambeaux de vêtements, toutes sortes d’ustensiles et de choses brisées, méconnaissables. Souvent un être couvert de haillons, la face terreuse et les prunelles flamboyantes, sortait de ces ruines. Mais bien vite il se mettait à courir ou disparaissait dans un trou. Salammbô et son guide ne s’arrêtaient pas.

Les plaines abandonnées se succédaient. Sur de grands espaces de terre toute blonde s’étalait, par traînées inégales, une poudre de charbon que leurs pas soulevaient derrière eux. Quelquefois ils rencontraient de petits endroits paisibles, un ruisseau qui coulait parmi de longues herbes ; et,