Page:Flaubert - Salammbô.djvu/237

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le ciel en calculant le nombre de leurs pas ; si bien que maintenant grandissait dans sa pensée une religion particulière, sans formule distincte, et, à cause de cela même, toute pleine de vertiges et d’ardeurs. Il ne croyait plus la terre faite comme une pomme de pin ; il la croyait ronde, et tombant éternellement dans l’immensité, avec une vitesse si prodigieuse qu’on ne s’aperçoit pas de sa chute.

De la position du soleil au-dessus de la lune, il concluait à la prédominance de Baal, dont l’astre lui-même n’est que le reflet et la figure ; d’ailleurs, tout ce qu’il voyait des choses terrestres le forçait à reconnaître pour suprême le principe mâle exterminateur. Puis il accusait secrètement la Rabbet de l’infortune de sa vie. N’était-ce pas pour elle qu’autrefois le grand-pontife, s’avançant dans le tumulte des cymbales, lui avait pris sa virilité future ? Et il suivait d’un œil mélancolique les hommes qui se perdaient avec les prêtresses au fond des térébinthes.

Ses jours se passaient à inspecter les encensoirs, les vases d’or, les pinces, les râteaux pour les cendres de l’autel, et toutes les robes des statues, jusqu’à l’aiguille de bronze servant à friser les cheveux d’une vieille Tanit, dans le troisième édicule, près de la vigne d’émeraude. Aux mêmes heures, il soulevait les grandes tapisseries des mêmes portes qui retombaient ; il restait les bras ouverts dans la même attitude ; il priait prosterné sur les mêmes dalles, tandis qu’autour de lui un peuple de prêtres circulait pieds nus par les couloirs pleins d’un crépuscule éternel.

Mais sur l’aridité de sa vie, Salammbô faisait