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c’était une fraude. Alors il considéra le Chef des odeurs fixement, et, sans rien dire, lui jeta la corne de gazelle en plein visage.

Si indigné qu’il fût des falsifications commises à son préjudice, en apercevant des paquets de nard qu’on emballait pour les pays d’outre-mer, il ordonna d’y mêler de l’antimoine, afin de le rendre plus lourd.

Puis il demanda où se trouvaient trois boîtes de psagas, destinées à son usage.

Le Chef des odeurs avoua qu’il n’en savait rien, des soldats étaient venus avec des couteaux, en hurlant ; il leur avait ouvert les cases.

— Tu les crains donc plus que moi ! s’écria le Suffète.

Et, à travers la fumée, ses prunelles, comme des torches, étincelaient sur le grand homme pâle qui commençait à comprendre.

— Abdalonim ! avant le coucher du soleil, tu le feras passer par les verges ; déchire-le !

Ce dommage, moindre que les autres, l’avait exaspéré ; car, malgré ses efforts pour les bannir de sa pensée, il retrouvait continuellement les Barbares. Leurs débordements se confondaient avec la honte de sa fille, et il en voulait à toute la maison de la connaître et de ne pas la lui dire. Mais quelque chose le poussait à s’enfoncer dans son malheur ; et, pris d’une rage d’inquisition, il visita sous les hangars, derrière la maison de commerce, les provisions de bitume, de bois, d’ancres et de cordages, de miel et de cire, le magasin des étoffes, les réserves de nourritures, le chantier des marbres, le grenier du silphium.