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trois monstrueux cylindres, le premier bâti en pierres, le second en briques, et le troisième, tout en cèdre, supportant une coupole de cuivre sur vingt-quatre colonnes de genévrier, d’où retombaient, en manière de guirlandes, des chaînettes d’airain entrelacées. Ce haut édifice dominait les bâtiments qui s’étendaient à droite, les entrepôts, la maison de commerce, tandis que le palais des femmes se dressait au fond des cyprès, alignés comme deux murailles de bronze.

Quand le char retentissant fut entré par la porte étroite, il s’arrêta sous un large hangar, où des chevaux, retenus à des entraves, mangeaient des tas d’herbes coupées.

Tous les serviteurs accoururent. Ils faisaient une multitude, ceux qui travaillaient dans les campagnes, par terreur des soldats, ayant été ramenés à Carthage. Les laboureurs, vêtus de peaux de bêtes, traînaient des chaînes rivées à leurs chevilles ; les ouvriers des manufactures de pourpre avaient les bras rouges comme des bourreaux ; les marins, des bonnets verts ; les pêcheurs, des colliers de corail ; les chasseurs, un filet sur l’épaule ; et les gens de Mégara, des tuniques blanches ou noires, des caleçons de cuir, des calottes de paille, de feutre ou de toile, selon leur service ou leurs industries différentes.

Par derrière se pressait une populace en haillons. Ils vivaient, ceux-là, sans aucun emploi, loin des appartements, dormaient la nuit dans les jardins, dévoraient les restes des cuisines, moisissure humaine qui végétait à l’ombre du palais. Hamilcar les tolérait, par prévoyance encore plus que par dédain. Tous, en témoignage de joie,