Page:Flaubert - Salammbô.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la cendre des frères de vos aïeux, avec qui maintenant je confonds la mienne ! vous, les Cent du Conseil de Carthage, vous avez menti en accusant ma fille ! Et moi, Hamilcar Barca, Suffète de la mer, Chef des Riches et Dominateur du peuple, devant Moloch à tête de taureau, je jure…

On s’attendait à quelque chose d’épouvantable ; il reprit d’une voix plus haute et plus calme :

— Que même je ne lui en parlerai pas !

Les serviteurs sacrés, portant des peignes d’or, entrèrent, les uns avec des éponges de pourpre, les autres avec des branches de palmier. Ils relevèrent le rideau d’hyacinthe étendu devant la porte ; et par l’ouverture de cet angle on aperçut au fond des autres salles le grand ciel rose qui semblait continuer la voûte, en s’appuyant à l’horizon sur la mer toute bleue. Le soleil, sortant des flots, montait. Il frappa tout à coup contre la poitrine du colosse d’airain, divisé en sept compartiments que fermaient des grilles. Sa gueule aux dents rouges s’ouvrait dans un horrible bâillement ; ses naseaux énormes se dilataient, le grand jour l’animait, lui donnait un air terrible et impatient, comme s’il avait voulu bondir au dehors pour se mêler avec l’astre, le dieu, et parcourir ensemble les immensités.

Les flambeaux répandus par terre brûlaient encore, en allongeant çà et là sur les pavés de nacre comme des taches de sang. Les Anciens chancelaient épuisés ; ils aspiraient à pleins poumons la fraîcheur de l’air ; la sueur coulait sur leurs faces livides ; à force d’avoir crié ils ne s’entendaient plus. Mais leur colère contre le Suffète n’était point calmée ; en manière d’adieux