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leur orgueil, leur fit oublier toutes les autres. On prit à part ses amis. Il y eut des réconciliations intéressées, des sous-entendus et des promesses. Hamilcar ne voulait plus se mêler d’aucun gouvernement. Tous le conjurèrent. Ils le suppliaient ; et, comme le mot de trahison revenait dans leurs discours, il s’emporta. Le seul traître, c’était le Grand Conseil, car l’engagement des soldats expirant avec la guerre, ils devenaient libres dès que la guerre était finie ; il exalta même leur bravoure et tous les avantages qu’on en pourrait tirer en les intéressant à la République par des donations, des privilèges.

Alors Magdassan, un ancien gouverneur de provinces, dit en roulant ses yeux jaunes :

— Vraiment, Barca, à force de voyager, tu es devenu un Grec ou un Latin, je ne sais quoi ! Que parles-tu de récompenses pour ces hommes ? Périssent dix mille Barbares plutôt qu’un seul d’entre nous !

Les Anciens approuvaient de la tête en murmurant :

— Oui, faut-il tant se gêner ? on en trouve toujours !

— Et l’on s’en débarrasse commodément, n’est-ce pas ? on les abandonne, ainsi que vous avez fait en Sardaigne. On avertit l’ennemi du chemin qu’ils doivent prendre, comme pour ces Gaulois dans la Sicile, ou bien on les débarque au milieu de la mer. En revenant, j’ai vu le rocher tout blanc de leurs os !

— Quel malheur ! fit impudemment Kapouras.

— Est-ce qu’ils n’ont pas cent fois tourné à l’ennemi ? exclamaient les autres.