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ches. L’autre lune, croirais-tu, il a surpris un aigle ; il le traînait, et le sang de l’oiseau et le sang de l’enfant s’éparpillaient dans l’air en larges gouttes, telles que des roses emportées. La bête, furieuse, l’enveloppait du battement de ses ailes ; il l’étreignait contre sa poitrine, et à mesure qu’elle agonisait ses rires redoublaient, éclatants et superbes comme des chocs d’épées.

Hamilcar baissait la tête, ébloui par ces présages de grandeur.

— Mais, depuis quelque temps, une inquiétude l’agite. Il regarde au loin les voiles qui passent sur la mer ; il est triste, il repousse le pain, il s’informe des dieux et il veut connaître Carthage !

— Non ! non ! pas encore ! s’écria le Suffète.

Le vieil esclave parut savoir le péril qui effrayait Hamilcar, et il reprit :

— Comment le retenir ? Il me faut déjà lui faire des promesses, et je ne suis venu à Carthage que pour lui acheter un poignard à manche d’argent avec des perles tout autour.

Puis il conta qu’ayant aperçu le Suffète sur la terrasse, il s’était donné aux gardiens du port pour une des femmes de Salammbô, afin de pénétrer jusqu’à lui.

Hamilcar resta longtemps comme perdu dans ses délibérations ; enfin il dit :

— Demain tu te présenteras à Mégara, au coucher du soleil, derrière les fabriques de pourpre, en imitant par trois fois le cri d’un chacal. Si tu ne me vois pas, le premier jour de chaque lune tu reviendras à Carthage. N’oublie rien ! Aime-le ! Maintenant, tu peux lui parler d’Hamilcar.