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retourner dans son royaume pour y prendre des éléphants, et avec sa cavalerie battre les routes.

Les femmes crièrent bien fort à cette décision ; elles convoitaient les bijoux des dames puniques. Les Libyens aussi réclamèrent. On les avait appelés contre Carthage, et voilà qu’on s’en allait. Les soldats presque seuls partirent. Mâtho commandait ses compagnons avec les Ibériens, les Lusitaniens, les hommes de l’Occident et des îles, et tous ceux qui parlaient grec avaient demandé Spendius, à cause de son esprit.

La stupéfaction fut grande quand on vit l’armée se mouvoir tout à coup ; puis elle s’allongea sous la montagne de l’Ariane, par le chemin d’Utique, du côté de la mer. Un tronçon demeura devant Tunis, le reste disparut, et il reparut sur l’autre bord du golfe, à la lisière du bois, où il s’enfonça.

Ils étaient quatre-vingt mille hommes, peut-être. Les deux cités tyriennes ne résisteraient pas ; ils reviendraient sur Carthage. Déjà une armée considérable l’entamait, en occupant l’isthme par la base, et bientôt elle périrait affamée, car on ne pouvait vivre sans l’auxiliaire des provinces, les citoyens ne payant pas, comme à Rome, des contributions. Le génie politique manquait à Carthage. Son éternel souci du gain l’empêchait d’avoir cette prudence que donnent les ambitions plus hautes. Galère ancrée sur le sable libyque, elle s’y maintenait à force de travail. Les nations, comme des flots, mugissaient autour d’elle, et la moindre tempête ébranlait cette formidable machine.

Le trésor se trouvait épuisé par la guerre romaine et par tout ce qu’on avait gaspillé, perdu, tandis qu’on marchandait les Barbares. Cependant