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jeunesse de la mer sourit en face à chaque rayon de soleil, dans chaque vague azurée.

Si je demeurais à Toulon, j’irais aussi tous les jours au jardin botanique ; ce serait peut-être une sottise, car il est choses dont il ne faut garder qu’une vision, comme Arles, par exemple. Que le cloître Saint-Trophime était beau, à la tombée du jour ! Des femmes venaient puiser de l’eau dans le puits de marbre qui se trouve là, à droite en entrant. Les femmes d’Arles ! quel autre souvenir ! Elles sont toutes en noir ; elles marchaient, il m’a semblé, deux à deux dans les rues, et elles parlaient à voix basse se tenant par le bras. J’en ai revu une à Toulon, elle s’en allait aussi la tête penchée un peu sur l’épaule, le regard vers la terre ; avec leur jupe courte, leur démarche si légère et si grave, toute leur stature robuste et svelte, elles ressemblent à la Muse antique.

Il faisait du mistrao à Toulon ; nous étions aveuglés de poussière. Une fois entrés dans le jardin, je ne sais si cela tient aux murs qui nous abritaient, l’air est devenu calme. Après la maison du concierge, il y a quelques petites maisonnettes en bois qui servent de serres ; des cages d’oiseaux étaient attachées aux murs extérieurs, elles étaient remplies de gazouillements et de battements d’ailes. Je vis là sous de grands arbres pleins d’ombrages, à côté d’un banc de gazon, deux ou trois forçats qui travaillaient au jardin ; ils n’avaient ni garde-chiourme, ni sergents, ni argousins ; on entendait pourtant leur chaîne qui traînait sur le sable.