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jusqu’à Saint-Pancrace, se fait dans une grande forêt de châtaigniers, sur des pelouses unies. Nous avons plusieurs fois traversé le Golo dont nous avons suivi le courant. À 4 heures du soir enfin nous atteignons Saint-Pancrace, où M. Podesta avait eu l’obligeance d’envoyer la voiture ; ça a été pour nous une chose toute nouvelle de nous sentir traînés sur une grande route et sur de bons ressorts. Bastia paraît de loin étendue au bas du cap Corse, au fond du golfe ; son phare brillait dans les flots, et la nuit était déjà venue quand nous entrâmes dans les rues de la ville.

Il ne nous restait plus qu’une journée, qu’une journée et tout était fini ! Adieu la Corse, ses belles forêts, sa route de Vico au bord de la mer ; adieu ses maquis, ses fougères, ses collines, car Bastia n’est pas de la Corse ; c’en est la honte, disent-ils là-bas. Sa richesse, son commerce, ses mœurs continentales, tout la fait haïr du reste de l’île. Il n’y a que là, en effet, que l’on trouve des cafés, des bains, un hôtel, où il y ait des calèches, des gants jaunes et des bottes vernies, toutes les commodités des sociétés civilisées. Bastiacci, disent-ils, méchants habitants de Bastia, hommes vils qui ont quitté les mœurs de leurs ancêtres, pour prendre celles de l’Italie et de la France. Il est vrai que les petits commis des douanes et de l’enregistrement, les surnuméraires des domaines, les officiers en garnison, toute la classe élastique désignée sous le nom de jeunes gens, n’a pas besoin, comme à Ajaccio, de faire de temps en temps de petites excursions