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glisse emporté et vite s’oublie pour l’instant, mais bientôt se resserre dans je ne sais quelle synthèse harmonieuse qui ne vous présente plus ensuite qu’un grand mélange suave de sentiments et d’images où la mémoire se reporte toujours avec bonheur, vous replace vous-même et vous les donne à remâcher, embaumés cette fois de je ne sais quel parfum nouveau qui vous les fait chérir d’une autre manière.

À Prunelli, le capitaine nous a fait arrêter pour dire le bonjour à deux de ses filles mariées dans ce village. C’était là le quartier général des Corses qui rossèrent si élégamment le marquis de Rivière, ambassadeur à Constantinople. Déjà nous avons vu à la préfecture le général Paoli, à qui la gloire de cette guerre est revenue en entier ; néanmoins, c’est bien notre ami le capitaine Laurelli qui, dans le pays, passe pour y avoir eu la part la plus active. La veille, en allant aux eaux de Pietra-Pola, il nous avait montré tous les lieux où l’action s’est portée, en homme qui parle de ce qu’il a vu ; chez lui, à Corte, il a conservé les étriers du général Sebastiani qui était descendu de cheval pour fuir plus à l’aise dans la campagne. Nous sommes descendus à travers de grands maquis et des chênes-liège jusqu’à l’immense plaine qui forme tout le littoral oriental de la Corse et qui s’étend depuis Bonifacio jusqu’à Bastia. Elle est inculte dans sa plus grande partie, couverte çà et là d’un maquis dont la touffe de verdure paraît de loin au milieu de cette terre blanche ; on en a brûlé,