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devenait de plus en plus humide et tendre en s’approchant du haut faîte inégal des montagnes. Tous les contours, toutes les lignes saillissaient librement, grâce à leur teinte grise qui surplombait les grandes masses noires du maquis. Le ciel semblait haut, haut, et la lune avait l’air d’être lancée et perdue au milieu ; tout alentour elle éclairait l’azur, le pénétrait de blancheur, laissant tomber sur la vallée en pluie lumineuse ses vapeurs d’argent qui, une fois arrivées à la terre, semblaient remonter vers elle comme de la fumée.

Nous sommes repartis le lendemain de bonne heure, après que M. Cloquet eut vu, je crois, tous les malades du pays qui encombraient la maison de notre hôte avec les curieux venus pour nous voir. Ils sont amenés par un pharmacien italien, grand gaillard blond aux yeux bleus, qui a plutôt l’air d’un Bas-Normand que d’un Parmesan, sauf toutefois la vivacité faciale. C’est un réfugié politique qui paraît fort patriote ; il attend le signal de l’autre rivage pour laisser là la Corse et se mettre le fusil sur l’épaule ; il nous parle beaucoup de M. Libri dont il se dit l’ami intime.

Chemin faisant, je raconte au capitaine mes doléances et mes malédictions de la nuit passée ; ce pauvre Laurelli avait été encore plus mal traité que moi, il ne s’est pas déshabillé et s’est couché sur une malle.

La route est étroite, monte et descend continuellement. Nous sommes au fond d’une vallée