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que le rôle insignifiant qu’y joue la femme ; si son mari tient à la garder pure, ce n’est ni par amour ni par respect pour elle, c’est par orgueil pour lui-même, c’est par vénération pour le nom qu’il lui a donné. D’ailleurs, il n’y a entre eux deux aucune communication d’idées et de sentiments ; le fils, même enfant, est plus respecté et plus maître que sa mère[1].

Tandis que vous voyez l’homme bien vêtu, portant une veste de velours, un bon pantalon de gros drap, la pipe à la bouche et le fusil sur l’épaule, chevauchant à son aise sur une bonne bête, sa femme, à quelques pas de là, le suit pieds nus et portant tous les fardeaux. Vous voyagerez dans toute la Corse, vous y serez partout bien reçu, on vous accueillera d’une manière cordiale qui vous ira jusqu’au cœur, et le lendemain matin votre hôte pleurera presque en vous quittant ; de sa famille, vous ne connaîtrez que lui. En descendant de cheval vous avez bien vu des enfants jouer devant la porte, ce sont les siens, mais ils ne paraissent pas à table ; leur mère ne se montre presque jamais et reste avec eux tant qu’ils sont jeunes. Les liens de famille sont forts, il est vrai, mais à la manière antique, entre frères,

  1. Dans un curieux mémoire que M. Lauvergne a publié sur la Corse, il dit qu’il a vu un jeune garçon de douze ans environ s’amuser à tenir sa mère couchée en joue au bout de son fusil ; il lui faisait faire ainsi toutes les évolutions qu’il lui commandait et la faisait danser comme un chien avec un fouet. Le père était à deux pas de là et riait beaucoup de cette plaisanterie barbare.