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me fatiguait horriblement et le matelas de crin m’entrait dans les côtes ; au moindre mouvement que je tâchais de faire la nausée me prenait aussitôt, il fallait bien se résigner, la douleur me rendormait.

Nous longions alors les côtes de la Corse, et le temps, de plus en plus rude, me réveilla avec des angoisses épouvantables et une sueur d’agonisant. Je comparais les cabines à autant de bières superposées les unes au-dessus des autres ; c’était en effet une traversée d’enfer, et la barque de Caron n’a jamais contenu de gens qui aient eu le cœur plus malade. D’autres fois j’essayais de m’étourdir, de me tourner en ridicule, de m’amuser à mes dépens ; je me dédoublais et je me figurais être à terre, en plein jour, assis sur l’herbe, fumant à l’ombre et pensant à un autre moi couché sur le dos et vomissant dans une cuvette de fer-blanc ; ou bien je me transportais à Rouen, dans mon lit : l’hiver, je me réveillais à cette heure-là, j’allumais mon feu, et je me mettais à ma table. Alors je me rappelais tout et je pressurais ma mémoire pour qu’elle me rendît tous les détails de ma vie de là-bas, je revoyais ma cheminée, ma pendule, mon lit, mon tapis, le papier taché, le pavé blanchi à certaines places ; je m’approchais de la fenêtre et je regardais les barres du jour qui saillissaient entre les branches de l’acacia ; tout le monde dort tranquille au-dessous de moi, le feu pétille et mon flambeau fait un cercle blanc au plafond. Ou bien c’était à Déville, l’été ; j’entrais