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différence n’en reste pas moins sensible entre les deux provinces. En arrivant à Nîmes, par exemple, qui est pourtant encore du Languedoc, tout est changé, et la population y est criarde et avide ; elle ressemble un peu, je crois, à ce que devait être le bas peuple à Rome, les affranchis, les barbiers, les souteneurs, tous les valets de Plaute. Cela tient sans doute à ce que je les ai vus à l’ombre des arènes et dans un pays tout romain.

Le lendemain matin de mon arrivée à Carcassonne, j’ai été sur la grande place. C’est là une vraie place du Midi, où il fait bon dormir à l’ombre pour faire la sieste. Elle est plantée de platanes qui y jettent de l’ombre, et la grande fontaine au milieu, ornée de Naïades tenant entre leurs cuisses des dauphins, répand tout alentour cette suave fraîcheur des eaux que les pores hument si bien. On y tenait le marché : dans des corbeilles de jonc étaient dressées des pyramides de fruits, raisins, figues, poires ; le ciel était bleu, tout souriait, je sortais de table, j’étais heureux.

En face de la ville moderne il y a la vieille, dont les pans de murs s’étendent en grandes lignes grises de l’autre côté du fleuve, comme une rue romaine. On y monte par une rampe qui suit la colline ; on passe les tours d’entrée et l’on se trouve dans les rues. Elles sont droites et petites, pleines de tas de fumier, resserrées entre de vieilles maisons la plupart abandonnées ; de temps en temps un petit jardin avec une vigne et un olivier s’élève entre des toits plats. Sur une place