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14 ans environ, dont les cheveux ras, la tête osseuse et le regard singulièrement triste et élevé, mis en parallèle avec le bambin puant de vanité, faisant le maître et les tutoyant tous ; pauvre enfant qui est peut-être né de la plus pure argile, poète destiné à contenir l’ambroisie des suaves pensées, vase d’élection dont on souille la forme et qu’on fait commun, usuel, utile, propre à faire boire les pourceaux. Rien n’y manque pour l’abrutissement, pas même une école. Vous croyez que le soir, quand le bras est fatigué, l’oreille assourdie, ils peuvent s’étendre sur l’herbe, regarder la lune, courir les champs par bandes joyeuses pour manger le raisin mûr, aimer sous les arbres ? Fi donc ! et la morale ? Les mains lavées, ils montent un étage, du mortier matériel ils passent au gâchis spirituel ; on leur montre à lire, à écrire ; on leur enseigne l’histoire, la géographie, les quatre règles ; aux plus avancés on lit le Journal des Connaissances utiles ; dans les chaudes soirées d’été ils écoutent le maître à la lueur des quinquets qui fument, ils tournent le dos au ciel bleu resplendissant d’étoiles pour regarder le tableau rayé des chiffres, pour écouter la théorie des quatre règles, au lieu de chanter les chansons que leurs pères, dans leur jeunesse, ont chantées à leurs mères, le soir, assis sur le banc devant leur maison.

J’ai hâte d’en finir avec Bordeaux et j’aime mieux le Médoc où je me suis promené dans une bonne vieille voiture à la Louis XIV, comme les