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Pour y aller, on monte d’abord sur la courtine dont la muraille cache aux logis d’en bas la vue de la mer. La terre paraît sous les dalles fendues ; l’herbe verdoie entre les créneaux, et dans les effondrements du sol s’étalent des flaques d’urine qui rongent les pierres grises. Le rempart contourne l’île et s’élève par des paliers successifs. Quand on a dépassé l’échauguette qui fait angle entre les deux tours, un petit escalier droit se présente ; de marche en marche, en grimpant, s’abaissent graduellement les toits des maisons dont les cheminées délabrées fument à cent pieds sous vous. Vous voyez à la lucarne des greniers le linge suspendu sécher au bout d’une perche avec des haillons rouges recousus, ou se cuire au soleil, entre le toit d’une maison et le rez-de-chaussée d’une autre, quelque petit jardin grand comme une table où les poireaux languissant de soif couchent leurs feuilles sur la terre grise ; mais l’autre face du rocher, celle qui regarde la pleine mer, est nue, déserte, si escarpée que les arbustes qui y ont poussé ont du mal à s’y tenir et, tout penchés sur l’abîme, semblent prêts à y tomber.

Bien haut, planant à l’aise, quand vous êtes ainsi à jouir d’autant d’étendue que s’en peuvent repaître des yeux humains, que vous regardez la mer, l’horizon des côtes développant son immense courbe bleuâtre, ou, dressée sur sa pente perpendiculaire, la muraille de la Merveille, avec ses trente-six contreforts géants, et qu’un rire d’admiration vous crispe la bouche, tout à coup, vous