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la détrempe, le public aime ça. Donnez-lui-en, fourrez-lui-en, gorgez cet imbécile !

[1]Il se ruera sur la gravure et laissera le tableau, chantera la romance et dormira à Beethoven, saura tout Béranger par cœur et pas un vers d’Hugo.

C’est plaisir de le voir à sa table comme il s’empiffre des plus lourdes marchandises et se grise des plus frelatées. Les mets communs lui vont vite, et demain, encore du Scribe, du Vernet, de l’Eugène Sue, quelque chose de digestion facile et qui ne tienne pas de place au ventre pour qu’on en puisse manger davantage.

L’homme des champs particulièrement se délecte dans le mauvais avec une ténacité édifiante. Son mauvais à lui est plus sincèrement sot, plus sauvagement bête ; il y met moins de finesse que le citadin qui au moins change de modes s’il ne change pas de goût. À combien de milliers d’exemplaires se vendent annuellement dans les campagnes l’Amour conjugal et Faublas ! sans compter l’Europe et l’Asie, égrillardes demoiselles aux regards gluants qui décorent toutes les chaumières.

Mais il faut avoir vu les belles images de l’auberge de Cancale pour savoir comment le laid, le niais et le vulgaire peuvent prendre forme sur du papier.

Imaginez dans une salle basse cinq cadres de bois noir accrochés aux murs, et dans ces cadres, du rouge, du bleu, du jaune, une mosaïque de

  1. Inédit, pages 300 à 310.