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quelques-unes ; une seule convenable, on ne pouvait voir de qui, tout entourée de chèvrefeuille ; tombes de trois notaires et une boîte contenant la tête d’un autre notaire. L’usage est de peindre des paysages funèbres sur le bois des croix, une pyramide, un mausolée, une colonne, un tombeau dans une campagne. Il y a une belle croix noire avec des boules d’or à ses trois bouts qui, au point d’intersection des bras, montre un tombeau chic : Sainte-Hélène, ombragé par un saule pleureur d’un pleurard échevelé ; la campagne est désolée ; au fond, des montagnes comme des vagues ; au second plan, des herbes alignées et au-dessus des nuages roses. » C’est du reste de règle, partout les nuages sont roses, la différence ne consiste que dans le plus ou moins vif de la couleur. Le brave homme est là avec son épouse. « Priez pour leur repos » ; ils doivent ronfler fort et pourrir gras pour ne pas se réveiller là-dessous. Pauvre vieux notaire, va ! — Le cimetière est devant l’église : porte en bois sculpté ; le saint, dans l’église, est encore avec sa tête ! Immense bénitier, Saint Michel affreux, une vierge très tetonnière ; une autre grande couronne, jolie vraie figure de gravure de mode ; une statuette en bois, Madeleine esquimaude ; des cheveux énormes, chauds et bouffés, lui couvrent tout le corps jusqu’aux pieds comme un vêtement fait en poil d’animal ; c’est d’une vigousse et d’une bestialité inouïes, la femme a là-dessous la tiédeur animale des étables.
Affreuse bagnole de Carhaix à Guingamp. — Notre conducteur ; la femme veuve amie du conducteur ; noix et pain qu’ils mangeaient ensemble…
Guingamp. — Il y avait eu un pardon : les saints sous le porche de l’église étaient tout couronnés de fleurs ; flambeaux, herbes et gazons, lierres ; leur tête noircie avait une animation bizarre. Au fond, la Vierge au visage hâlé, toute chamarrée d’une robe de satin blanc qui s’étale ; sur la place, des boutiques ; au fond, deux baraques de saltimbanques, l’une où l’on faisait des tours de force et d’équi-