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pailletée et son grand balancier, sera aussi loin de nous que la bayadère du Gange.

De tout ce beau monde coloré, bruissant comme la fantaisie même, si mélancolique et si sonore, si amer et si folâtre, plein de pathétique intime et d’ironies éclatantes, où la misère était chaude, où la grâce était triste, dernier cri d’un âge perdu, race lointaine qu’on disait venue de l’autre bout de la terre, et qui nous apportait dans le bruit de ses grelots comme la vague souvenance et l’écho mourant des joies idolâtrées, quelque fourgon qui s’en va sur la grande route, ayant des toiles roulées sous son toit et des chiens crottés sous sa caisse, un homme en veste jaune escamotant la muscade dans des gobelets de fer-blanc, les pauvres marionnettes des Champs-Élysées et les joueurs de guitare des cabarets hors barrière, voilà tout ce qui en reste.

Il est vrai qu’il nous est survenu en revanche beaucoup de facéties d’un comique plus relevé. Mais le nouveau grotesque vaut-il l’ancien ? Est-ce que vous préférez Tom-Pouce ou le musée de Versailles ?

Sur une estrade de bois qui faisait le balcon d’une tente carrée de toile grise, un homme en blouse jouait du tambour ; derrière lui se dressait une large pancarte peinte représentant un mouton, une vache, des dames, des messieurs et des militaires. C’étaient les deux jeunes phénomènes de Guérande, porteurs d’un bras, quatre épaules. Leur même montreur ou éditeur criait à se lancer