Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représente un tableau de la vie de Jésus-Christ, et dont les quatre coins sont occupés par les évangélistes dans leurs attributions. Les personnages, un peu lourds, n’en sont pas moins mouvementés, vivants, amusants : les hommes qui tiennent le Christ le lient de toutes leurs forces, à faire éclater leurs muscles ; celui qui lui grimace au nez en tirant la langue grimace si bien qu’il fait rire ; l’âne qui porte Notre-Seigneur entrant à Jérusalem a une vraie mine d’âne, bonasse et pacifique ; les soldats qui le mènent au calvaire, en soufflant de la trompe et battant du tambour, sont précédés d’un officier chevauchant, la figure en l’air, avec une arrogance sublime ; aux pieds de la croix la Madeleine en pleurs répand sa belle chevelure tressée. Mettez à tous ces personnages les costumes des tableaux de Teniers, les petits chapeaux ronds retroussés, les bons pourpoints serrant de grosses bedaines, de grandes manches, des hautes chausses, de larges visages, des yeux ouverts, et vous aurez un ensemble d’une fantaisie solide, quelque chose de très naïf, de très élevé et d’une poésie toute moyen âge, quoique le monument n’ait été construit qu’en 1602 en acquittement d’un vœu fait quatre ans auparavant à propos de je ne sais quelle épidémie qui ravageait la Basse-Bretagne.

Tout cela, du reste, fut complètement perdu pour M. Genès. Il ne se doutait même pas de ce que ça voulait dire ; en regardant la Cène il prit les plats pour des cartes, les coupes pour des