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allures retiennent quelque chose du calme du Nord ; tandis que la vivacité du Midi anime, dans l’expression, le sourire ; et cependant, malgré le caractère bâtard qui résulte ordinairement de la fusion de nuances opposées, la Touraine me paraît avoir une originalité distincte, pas bien forte il est vrai, mais fine, intime, qui n’est ni prose ni poésie et qui s’exprimerait, je crois, d’un seul mot, si je ne craignais qu’on ne le prît dans une acception trop élevée : ce serait celui de prose chantée.

Comme nous traversions le pont d’Amboise — il y en a deux, la ville étant bâtie sur les deux rives de son fleuve et au milieu ayant une île ; — il y a deux ponts, disons-nous, mais c’est le second qui est beau, un de ces vénérables ponts, un de ces vieux ponts bossus, étroits, gris, racornis au soleil et à l’eau, où il semble, on ne sait pourquoi, qu’une traînée de cavaliers passant dessus avec des bruits d’armures et de pieds de chevaux allant au pas ferait un bon effet et où on regrette de ne pas entendre chanter, assis sur la borne, un mendiant aveugle tournant sa vielle, ou une gitana nu-pieds dans la poussière, secouant son tambourin dont le son court et brusque est emporté par le bruit large de l’eau qui passe sous les arches. Donc, pendant que nous étions sur le pont, nous vîmes apparaître, débusquant de la promenade au pied du château, la garde nationale du lieu qui s’en revenait de la revue. Sur trente hommes environ qu’ils étaient, cinq ou six portaient l’uni-