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une belle tête d’enfant, des tombeaux ; on savoure la couleur des herbes, on écoute le bruit des eaux, on contemple les visages, on se promène parmi les pierres, on s’accoude sur les tombes, et le lendemain on rencontre d’autres hommes, d’autres pays, d’autres débris ; on établit des antithèses, on fait des rapprochements. C’est là le plaisir, il en vaut bien un autre.

À Rosporden, par exemple, nous vîmes dans le cimetière une femme en prières qui nous en rappela une autre que nous avions vue dans la cathédrale de Nantes. Elle était à genoux, raidie, immobile, le corps droit, la tête baissée et regardant la terre avec un œil fouilleur plein de rage et de tristesse. Ce regard perçait la dalle blanche, entrait, descendait, pompait à lui ce qu’il y avait dessous ; celle de Nantes, au contraire, dont le teint était blanc comme la cire des cierges, couchée de côté sur un prie-Dieu, la bouche ouverte dans l’extase, les yeux portés au ciel, au delà du ciel, plus haut encore, avait l’âme partie au dehors. Toutes deux priaient avec une aspiration démesurée, et certes qu’il n’y avait plus pour elles rien dans la création que l’objet de ce désespoir et de cette espérance. La première s’acharnait au néant, la seconde montait à Dieu ; ce qui était regret dans l’une était désir dans l’autre ; et le désespoir de celle-ci si acre qu’elle s’y complaisait comme à une volupté dépravée, et le désir de celle-là si fort qu’elle en souffrait comme d’un supplice. Ainsi toutes deux tourmentées par la vie souhai-