Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mée, et le bon marché qu’ils en font. Il n’avait jamais vu la mer, il la regardait en ouvrant ses deux jeux, et il dit se parlant à lui-même : « C’est curieux tout de même, ça donne tout de même un aperçu de ce qui existe », appréciation que j’ai trouvée profonde et aussi émue par le sentiment de la chose même que toutes les expressions lyriques que j’ai entendu faire à bien des dames.

L’autre soldat ne cachait pas pour lui le dédain qu’il avait et quoiqu’ils fussent amis, il haussait les épaules de pitié en le regardant. Quand il se fut suffisamment amusé de lui en essayant de faire rire sur son compte la société qui l’entourait, il le laissa dormir dans son coin et se tourna vers nous. Alors il nous parla de lui-même, de la prison qu’il va subir, du régiment qui l’ennuie, de la guerre qu’il souhaite, de la vie dont il est las. Peu à peu ainsi sa joie étudiée s’en alla, son rire forcé disparut ; il devint simple et doux, mélancolique et presque tendre. Trouvant enfin une oreille ouverte à tout ce qui depuis longtemps surchargeait son cœur exaspéré d’ennui, il nous exposa longuement toutes les misères du soldat, les dégoûts de la caserne, les exigences taquines de l’étiquette, toutes les cruautés de l’habit, l’arrogance brutale des sergents, l’humiliation des obéissances aveugles, l’assassinat permanent de l’instinct et de la volonté sous la massue du devoir.’

Il est condamné à un an de discipline pour avoir vendu un pantalon. « À beaucoup, disait-il, ça ne fait rien, comme à ça par exemple, en dé-